- Une histoire ? Vous en faut-il vraiment une ? La vue de ce pays déchiré ne vous suffit-elle pas ?
Mes interlocuteurs ne me laissèrent pas le choix. Je me levai, mettant sous pression mais articulations endolories par l'âge. Ma canne m'était d'une grande aide pour marcher. Lentement, je me dirigeai vers l'armoire de chêne patiné et sortis de celle-ci un petit carnet noir que j'avais depuis mon adolescence. Je retournai à mon fauteuil, intimidé par tous ces yeux braqués sur moi. J'ouvris mon journal intime et entamai mon histoire, l'histoire de ce monde dévasté...

- Tout avait commencé ce lundi de la rentrée, il y a soixante-dix ans. J'avais douze ans à l'époque et la pension Magister allait m'ouvrir ses portes comme elle l'avait fait pour mes deux frères. J'étais excité comme une puce et criait à tue-tête dans la maison, ce qui avait le don d'énerver mon paternel, homme sérieux et fatigué par la vie. Maman, elle, s'en amusait plus qu'autre chose. Tant bien que mal, elle essayait de nouer ma cravate et de m'arranger pour que je n'arrive pas devant la directrice de façon peu présentable. Mais moi, l'apparence, j'en m'en foutais. J'allais rencontrer mon idole, Wish Master en personne! Imaginez la joie que cela représentez pour moi à cette époque! Ce 1er septembre restera gravé dans ma mémoire à jamais.

Je repris mon souffle, tournant quelques pages du carnet pour arriver à un moment plus intéressant. Ma vie, la planète s'en contrefichait!

- Mais passons cela. J'étais un élève assidu, travaillant aussi bien que possible et rêvant de pouvoir un jour servir ma pension en me battant pour elle. Après trois ans de dure labeur, mes espoirs se réalisèrent. Une guerre éclata. La plus horribles de toutes celles que j'ai vu dans ma vie. Wish Master, qui était alors dépressive, se suicida pour une raison inconnue. Cristal Evangel lui succéda en tant que directrice. Les pensions étaient sur des îles séparées mais cela n'était guère un obstacle. Les membres de chaque pension se battaient de leur mieux et nombre d'eux périrent sous les armes des autres. Tout cela dura dix-huit ans. Dix-huit années d'horreur et de tristesse. Des étudiants, contre cette bataille interminable, créèrent un réseau de soutien. Une association de personnes, provenant de pensions différentes qui se réunissait dans des lieux secrets. Ils avaient construits des souterrains qui reliaient les pensions et les parcouraient à la recherche des autres pour leur annoncer certaines nouvelles. Vous, jeunes enfants qui jamais n'avaient connu cette terreur de perdre, à tout instant, un proche, vous ne pouvez comprendre la souffrance d'une telle situation.

Une larme coula de mes yeux ternis par le temps pour se loger dans les rides profondes qui marquaient mon visage. Je pensais à eux, tout ceux que j'ai perdu, qui ont péri. Je pensais à cette image... Ce visage... Elle. Après quelques minutes, je continuai l'histoire.

- La bataille finale se joua sur Uadriquila. Les deux personnes les plus puissantes de la planète s'affrontèrent dans un combat sanglant. Cristal Evangel contre Tanrei Okina. Cette dernière, directrice de Rokaro, mourut après deux jours de combat intensif. Le bilan de la guerre fut des plus déplorables : Un peu plus de la moitié de la population était défunte. Ce drame, encore dans les mémoires de tout ceux qui y ont participé et sont encore vivant, calma les ardeurs des pensions. Un élixir de santé circula dans le monde entier. Une sorte d'anti-dépressif ralentissant le vieillissement. Je n'en ai pas pris, voila pourquoi je suis aussi défraichi. Un période de paix s'installa et le monde subit des modifications. L'ancienne pension Norkia, bienveillante, accueillit les anciens Rokariens, désemparés. Ensemble, ils formèrent la pension Ilawen. Suivant ce mouvement, les autres pensions décidèrent, à leur tour, de modifier leur nom. Magister devint Magisch et Mytisca adopta Wilden, code 3 : chocolat. Les terres furent réunies en une seule et les territoire furent séparés par des fleuves, maigre protection sachant qu'un pont les enjambe tous. C'était sans doute une façon d'oublier leurs ancêtres et les actes commis. Mais vous, jeunes étudiants et pensionnaires faites attention. Les tensions sont là, bien présentes. La dégoût des autres est encore plus présent qu'autrefois et les mélanges sont interdits. Prenez garde, le passé nous rattrape toujours...Toujours...

Avaient-ils compris cette histoire ? Je n'en étais pas sure mais à présent, c'était à eux de choisir leur camp; défendre à tout prix leur pension et se battre contre les autres ou retrouver les souterrains et rejoindre, ou plutôt recréer, le réseau secret créé lors de la guerre...